Paru dans les Cahiers Bourbonnais
Lorenzaccio à Moulins l’espace d’un printemps Claude Ferrieux
Initialement connu sous le surnom de Lorenzino (le petit Laurent) qui le différencie de Lorenzo il Magnifico (Laurent le Magnifique, 1449-1492), Laurent de Médicis (1514-1548) apparaît dans la littérature française au 19e siècle, grâce à George Sand et Alfred de Musset, en antihéros, affublé de son second suffixe, péjoratif celui-là : Lorenzaccio (le mauvais Laurent).
Personnage énigmatique, parfois attachant, capable aussi de se montrer exécrable.
Mais sait-on qu’il a vécu à Moulins plusieurs mois de son existence ?
Mon but n’est pas de raconter par le menu son histoire que l’on pourra retrouver facilement ailleurs, mais de partager une découverte faite récemment grâce à un ouvrage historique italien acheté en solde à vil prix sur une place de village du Piémont. Curieux destin d’un bon livre.
Pour bien situer les choses : le titre de l’ouvrage, Lorenzaccio, avait attiré mon attention car il évoquait une réminiscence de la magistrale pièce de Musset étudiée lorsque j’étais élève au collège de Varennes.
Lorenzino, Lorenzaccio, le bon et le mauvais. Cette ambiguïté marque le travail de l’historien Marcello Vannucci qui porte un regard assez peu complaisant sur la première partie de la vie de Laurent, puis le plaint et finalement s’attendrit lorsque celui-ci est traqué par les tueurs du duc de Florence, Côme de Médicis. Lancés à ses trousses pendant onze années (épopée lisible dans les archives et digne d’un polar moderne), ils finiront par l’atteindre à Venise à l’âge de 34 ans. (Il mourra en pleine rue près de son domicile, dans les bras de sa mère, en prononçant des paroles de pardon pour ses assassins.)
Pourquoi une telle haine ?
Le surnom de Lorenzaccio est la conséquence d’une nuit de folie survenue à Rome lorsqu’il était jeune homme, au cours de laquelle il s’était déchaîné dans un vandalisme à l’encontre de statues du Colisée. Dès lors, il avait dû fuir la cité papale et renoncer à la protection que lui accordait son parent Clément VII.
Lorenzo traditore, Laurent le traître, sera le nouveau surnom qui apparaîtra dans les correspondances du duc de Florence à ses sbires.
Que s’était-il donc passé après la fuite de Rome ?
Laurent se réfugia à Florence où régnait, avec la protection de Charles Quint, son présumé cousin Alexandre de Médicis.
Laurent se transforme en Lorenzino pour conquérir les faveurs du duc, dont il devient favori et compagnon de débauche. Alexandre de Médicis se comporte en despote cruel (criminel, devrait-on dire), plus soucieux de son plaisir que du bien de l’État. Il ne se méfie pas de Laurent qui est un jeune homme sensible, incapable de manier les armes. Et lorsqu’on essaie de mettre le duc en garde, celui-ci rit franchement : Lorenzino, un danger ? S’il s’évanouit à la vue d’un poignard… (Pourtant ils sont plusieurs à avoir conçu des doutes, notamment Benvenuto Cellini, le célèbre écrivain, orfèvre et sculpteur, qui affirme par ailleurs avoir désarçonné d’un coup d’arquebuse, depuis les murailles de Rome, un fringuant cavalier : le connétable de Bourbon.)
Laurent est-il un idéaliste qui veut restaurer la république à Florence ou bien un jaloux issu d’une branche modeste de la famille des Médicis ?
Tout en feignant de jouer parfaitement son rôle de favori, il se prépare. Pendant des mois, des années, il étudie les moindres faits et gestes du duc, lui vole sa cotte de maille, hésite à agir. Puis un soir de fin d’année 1537, lorsqu’Alexandre exige de lui qu’il fasse venir dans son lit la propre belle-sœur de Laurent, épouse légitime et vertueuse de son frère, et qu’ensuite il prépare une entrevue avec sa sœur, le déclic de l’honneur familial se produit. Lorenzaccio ourdit son plan : il attire chez lui Alexandre et au cours de la soirée, aidé de deux sinistres acolytes, dans une furieuse bataille, il poignarde le duc, l’abandonne baignant dans son sang et s’enfuit dans la nuit, une main atrocement mordue.
Une vie d’exilé attend Lorenzaccio. Loin d’avoir servi la république, il se voit traqué par un ennemi puissant : le nouveau duc, Côme, soutenu par l’empereur d’Allemagne Charles Quint. Mais, comme dit le proverbe : « Les ennemis de mes ennemis… », voici qu’apparaissent dans la vie du proscrit, la France de François 1er et le Bourbonnais.
Après un séjour à Lyon où Messire Laurent de Médicis a retrouvé des amis florentins et la cour, il rejoint à la fin de l’hiver 1538 le chef-lieu de la province du Bourbonnais où séjourne le roi François 1er. (On connaît les péripéties qui ont occasionné le passage du Bourbonnais dans le domaine royal : les avances de la mère du roi, Louise de Savoie, repoussées par le connétable de Bourbon, le déni suivi de la « trahison », et l’annexion, au cours de la décennie précédente.)
Le roi délaisse parfois Fontainebleau lorsqu’il quitte Paris, pour le château des Bourbons qui est très agréable. Vaste, prolongé de jardins et d’un parc où se dressent des arbres rares. Une collégiale, embellie de magnifiques vitraux et ornée par le triptyque du maître de Moulins. Au point qu’un ambassadeur vénitien écrit au doge : « On y trouve tous les attraits que l’on puisse imaginer. »
Laurent, grâce à Catherine de Médicis, épouse du dauphin, bénéficie de la protection et de l’aide du souverain français. Des missions diplomatiques lui sont confiées, telles que sa récente visite au sultan de Constantinople. D’autres suivront qui relèvent peut-être plus du renseignement que de la diplomatie. Il est aussi l’ami de la sœur du roi, la poétesse Marguerite de Navarre. Car Laurent est fin lettré. Il est même l’auteur d’une comédie, L’Aridosia, qui a été jouée lors du mariage du duc Alexandre (celui-là même qu’il allait assassiner) avec Marguerite d’Autriche. Pièce qui a connu le succès.
Voilà que Lorenzino, à Moulins, passe un heureux printemps 1538. Il rencontre une jeune femme, pour une fois honorable, dont on ne connaît que le prénom : Rose. Là, les documents d’archive manquent et l’historien imagine. Il voit Monsieur Laurent de Médicis et Rose quitter le jardin du château pour s’éclipser dans le parc adjacent, planté de grands arbres et touffu comme une forêt. Une aventure pour un jeune homme de vingt-trois ans, le temps d’une saison insouciante vécue dans une forteresse qui offre une bonne protection contre les sbires florentins. Marcello Vannucci pense que les alchimistes moulinois auront mêlé les essences pour que, selon la mode de l’époque, les seigneurs de la cour puissent présenter des parfums raffinés aux dames. Laurent les aura offerts à cette française prénommée Rose. À moins qu’il n’ait écrit à sa mère, réfugiée à Bologne, de lui en faire parvenir. Mais c’est peu probable. Ce que l’on sait, c’est qu’il a demandé à cette dernière une cotte de maille d’acier pour se protéger des poignards assassins. (Inutile. Lors de l’épilogue déjà décrit, il sera frappé à la tête avec une arme empoisonnée.)
L’histoire d’amour avec Rose prend fin car on retrouve Laurent sur les routes de France, puis à Paris, sans qu’il ne soit plus fait mention de la jeune femme. Un doute, soudain, saisit l’historien. A-t-elle réellement existé ? Son nom n’a-t-il pas été introduit par des chroniqueurs courtisans pour embellir la légende ? Non, il croit vraiment à l’existence de cette gente dame et à la parenthèse bourbonnaise heureuse dans une vie troublée.
D’après Lorenzaccio de Marcello Vannucci, Newton Compton éditeurs Rome, 1996. Première édition : 1984.
Monuments anciens (Moulins):collégiale, château
La collégiale de Moulins vers 1850
Le château des Bourbons et ce qu’il en reste depuis l’incendie de 1755 et les démolitions qui ont accompagné au 19e s. l’édification de la cathédrale.